dimanche 23 février 2014

Il est frais mon jeu de rôle, il est frais ! - Comment vendre son jeu ?

Avant-propos: bien, maintenant que vous avez conçu votre jeu en vous assurant qu'il contient au moins les briques élémentaires d'un jeu de rôle, que vous l'avez écrit de telle manière qu'il soit accessible et engageant, le plus dur est fait, non ? Hum pas vraiment...ne reste plus qu'une seule et simple chose en fait, arriver à le vendre... Et quand je dis "vendre", ce n'est pas uniquement l'aspect pécuniaire du terme dont je parle, mais également celui de réussir à enthousiasmer des personnes pour qu'elles prennent 30 secondes de leur temps pour vous écouter présenter votre jeu, 2 minutes pour contempler la couverture et lire la 4ème de couverture, et qu'une fois arriver en bas de la page au niveau du prix, elles ne reposent pas votre livre sur l'étagère en considérant que c'est bien cher pour ce que ça semble vouloir proposer. Comment faire me direz-vous ? Croyez bien que s'il existait une formule assurant une vente certaine, ça se saurait....mais Ryan Macklin, Vincent Baker et Jessica Hammer ont quelques conseils et retour d'expériences à nous faire partager.

On juge bien souvent un livre à sa couverture, et ceci d'autant plus que le choix de livres est de plus en plus conséquent, qu'on a un budget limité pour en acheter et un temps encore plus limité pour les lire.

La 4ème de couverture


Le but de la 4ème de couverture est de vendre l'idée du jeu. Si vous échouez là-dessus, les potentiels acheteurs risquent d'être plus confus qu'excités par cette lecture et donc de reposer votre livre sur l'étagère d'où ils venaient de le prendre, et surtout vous risquez de les décevoir si vous ne leur vendez pas réellement sur cette 4ème de couverture ce qu'ils vont trouver en définitive dans ce jeu. Des clients mécontents sont bruyants sur internet, et contribuent à passer un sentiment négatif aux autres potentiels clients par rapport à votre produit, et aussi envers vous directement.

Nous sommes souvent si enracinés dans les univers "geeks" que nous créons, que lorsque nous les décrivons en couverture, cela requiert quasiment que le lecteur connaisse déjà le jeu pour pouvoir comprendre de quoi il retourne. Au contraire, l'en-tête de votre texte doit présenter un contenu qui devrait m'exciter à propos de la situation, pas à propos de l'univers, c'est à dire m'exciter à propos de ce que nous allons jouer et faire dans ce cadre de jeu, mais sans que ce texte ne décrive littéralement un moment de jeu. Le texte doit être émotionnellement engageant pour qu'il inspire le public, et c'est encore mieux s'il se termine avec une question car les questions sont naturellement engageantes. Le mieux c'est encore d'avoir un jeu avec un visuel engageant, avec des accroches graphiques qui communiquent le ton et l'intention du jeu (Fiasco par exemple).

Certains dos de couverture comportent une liste de 10 à 12 puces résumant tous les points vendeurs d'un jeu. Ce n'est pas très inspirant, ce que je veux c'est savoir à quoi je vais jouer, pas de disposer d'une liste de courses. Il vaut mieux se contenter de conserver 3 à 5 choses pertinentes de votre jeu, et de focaliser le texte sur ces quelques points. Il n'est pas recommandé de mentionner que votre jeu a 50 classes, qu'il a un concept innovant ou autre, cela ne ferait que penser au lecteur que vous avez passé du temps sur des détails qui importent peu et pas assez à créer un jeu intéressant.

Dire comment jouer à ce jeu, ce que sont les caractéristiques d'un personnage ou comment la progression de celui-ci fonctionne, sont des informations inutiles à mettre au dos d'une couverture. Par contre on peut y inclure des informations telles que combien de joueurs et de temps sont nécessaires pour réaliser une partie. Tout le reste doit être à propos du thème, du ton et de l'histoire du jeu, c'est-à-dire toutes les raisons qui peuvent m'amener à retenir ce jeu plutôt qu'un autre.

Une fois que vous avez écrit une 4ème de couverture qui vous convient, elle pourra alors aussi servir pour vendre votre jeu à un éditeur, un distributeur ou utilisée comme descriptif pour les sites de vente sur le net. Ce sera encore un pitch tout trouvé pour les boutiquiers ou autres auteurs de jeu indépendants pour les aider à vendre votre jeu lorsque vous ne serez pas là pour le faire vous-même.

Le pitch


Un pitch est comme un oignon - il a plusieurs couches et il est recommandé de ne pas le mettre entièrement dans sa bouche, car c'est généralement trop d'un coup. La première couche suit la loi de Robin Laws des 25 mots ou moins - vous avez moins de 25 mots pour m'intéresser et m'amener à vous écouter davantage. C'est un peu l'équivalent de crier "AU FEU ! Maintenant que j'ai votre attention..." C'est juste suffisant pour que quelqu'un vous accorde, si vous êtes chanceux, quelques secondes pour s'arrêter et écouter un peu plus.


Ce qui pourrait marcher

Il est intéressant de faire son pitch sous forme d'interrogation, parce que les gens vont au moins réagir inconsciemment à cela, et ce même s'ils ne s'arrêtent pas pour parler plus longtemps. Bien sûr vous ne pouvez pas caser en 25 mots tout ce dont il est question dans votre jeu,  ça c'est pour après. Si quelqu'un vous donne son attention après avoir entendu ces quelques mots, alors vous avez 30 secondes pour lui donner un plus long pitch, et lui parler d'éléments de votre jeu qui vous semblent personnellement les plus excitants.

S'ils sont toujours intéressés, et continuent de parler avec vous de votre jeu plutôt que d'autre chose (ce n'est pas censé être un monologue de présentation mais bien un échange, profitez-en pour apprendre ce qui les intéresse, et en quoi ça pourrait se rapprocher en partie de votre jeu), alors faites une connexion plus intime avec eux: faites leur une courte démo, donner leur une carte de visite avec des informations sur votre jeu ou sur vous, organiser un autre rendez-vous pour un essai, ... Cette connexion les aidera à comprendre comment ce jeu pourrait leur apporter une expérience de jeu intéressante.

Ce qu'il faut éviter

Ne dénigrez pas les autres jeux, que ce soit en les nommant explicitement ou de manière indirecte. Vous ne savez pas si vous n'êtes pas en train de parler à un fan du dit jeu, et qui pourrait tout de même apprécier votre jeu aussi bien que celui que vous venez de dénigrer. Pire, cela pourrait laisser supposer que vous avez créé votre jeu parce que vous avez un ressentiment profond pour un certain type de jeu, et pas suite à un enthousiasme pour cette propre création. Idem, ne définissez pas votre jeu par la négative, en décrivant ce qu'il ne contient pas ("ce jeu ne contient pas de classes pour les personnages").

Ne vendez pas votre jeu comment étant générique (sauf si bien sûr il s'agit effectivement d'un système générique, essayez alors plutôt d'utiliser un cadre de jeu pour en démontrer l'adaptabilité) et adapté pour tout jouer, cela voudrait dire que vous n'avez aucune idée du propos de votre jeu et d'une conception appropriée, et cela n'aide généralement pas à transmettre votre passion pour ce jeu.

Ne commencez jamais par expliquer aux gens comment jouer à votre jeu, cela reviendrait à leur expliquer les règles et c'est rarement vendeur. Dites leurs plutôt quel est le ressenti et l'expérience délivrés en y jouant. Ceci favorise une connexion émotionnelle avec les potentiels acheteurs, et les accroches marchent souvent mieux quand elles reposent sur des émotions, et pas sur de la logique ou des principes de conception.

La vente à un nouveau public


Vincent Baker a décrit dans un de ses billets comment il a essayé de vendre quelques jeux de rôles, dont Dread (un jeu d’horreur qui se joue avec une tour Jenga), à un public non-averti, pourquoi cela échoua et les leçons qu’il en tira. Voici un résumé traduisant ce billet d'humeur.

"Nous avions un écriteau qui proclamait "jeux d’horreur", cela marchait bien et retenait l’attention. Nous avons eu des gens qui s’arrêtaient et disaient « Des jeux, hein ? » et « Des jeux d’horreur, c'est vrai ? Qui font peur à quel point ? ».

Quand nous leur avons ensuite dit qu'il s'agissait de « jeux de rôle », ils ont tout à coup visiblement perdu tout intérêt. Le vendredi, nous avons changé de tactique et sommes partis sur « vous connaissez déjà un peu les jeux de rôles ?» et peu importait si la réponse était oui ou non, car aussitôt que ces mots étaient prononcés, nous les avions d’ors et déjà perdus. Dès que nous avons arrêté de prononcer ces mots, ils ont commencé à rester suffisamment longtemps pour que nous puissions leur parler effectivement de ces jeux.

Le fait que les jeux en question n’étaient en définitive pas des jeux, mais des livres, constituait la barrière suivante. La tour de Jenga d'Epidiah Ravachol, auteur de Dread, faisait toujours son petit effet, mais faire le lien entre Dread  "le livre" et Dread "le jeu", était loin d’être évident pour eux. Nous leur avons mis directement un exemplaire entre les mains pour démarrer une démo sur le pouce, mais pendant qu’ils le feuilletaient, on pouvait voir l’incompréhension les envahir. La plupart d’entre eux avaient une réaction du style « euh, bon d’accord... », reposaient le livre et partaient.

Pour quelques uns d’entre eux, la petite démo et notre enthousiasme débouchèrent sur un succès. Mais l’écueil final fut le prix. Ce fut vraiment dur avec les 10 et 15 dollars que nous demandions pour Final Girl et Murderous Ghosts, mais quelques personnes prirent le risque de les acheter. Pour Dread, qui est au dessus de 20 dollars, ce fut mission impossible.

Pourtant, au cours de ces petites démos, nous avons vécu des moments de connexion solides avec les joueurs. Les jeux d’horreur ont une audience dans ce type de manifestation, j’en suis assez sûr, mais seulement si leurs prix peuvent être abaissés et se présenter de manière évidente comme des jeux."

Suite à cette constatation, Jessica Hammer (Making Horror, Selling Dread) a avancé quelques pistes de réflexion pour expliquer ce qui empêchait Dread d'être accessible au grand public. Voici les quatres points de blocage qu'elle a identifiés:

  • Utiliser une métaphore appropriée

Quand les gens découvrent quelque chose de nouveau, une des stratégies qu’ils utilisent pour comprendre de quoi il s'agit est de faire rentrer cette nouveauté dans une catégorie mentale déjà existante. Ils utilisent ce qu’ils savent de la catégorie existante pour déterminer leurs attentes, et aussi comme point de référence pour identifier ce qui en est différent.

Il y a deux solutions à cela: on peut soit changer la métaphore pour qu’elle corresponde mieux au produit, ou modifier le produit pour qu’il corresponde mieux à la métaphore (si on parle d’un jeu, on doit présenter un jeu et non un livre de 168 pages qu'il faut avoir lu avant de pouvoir jouer).

  • Les petites barrières se cumulent

Jessica s'est demandée: est ce que quelqu'un pourrait rentrer chez lui en partant de la convention et jouer au jeu cette nuit même ? La réponse est : difficilement, et cette question révèle l’existence d’un ensemble de barrières pour permettre de jouer.

Il y a des barrières inévitables pour mettre en route n’importe quel jeu de rôle sur table, et tout particulièrement l’exigence de réunir un groupe de gens au même endroit. Si nous voulons vendre des jeux aux gens qui ne font pas (encore) partie de la communauté des joueurs de jeu de rôle, nous ferions mieux de nous assurer d’éliminer les barrières que l’on peut éviter.

Une grande barrière consiste à réunir tout le matériel nécessaire pour jouer, c'est-à-dire pour Dread une tour Jenga et des questionnaires pré-imprimés. Une autre barrière est la conception même du livre, si vous devez déjà connaître le livre par cœur pour savoir où retrouver des éléments indispensables au jeu car ceux-ci sont disséminés à plusieurs endroits, cela dénote d'un livre peu éducatif.

  • L’abstraction est pour les experts

La plupart du contenu de Dread (mais c'est vrai pour d'autres jeux) porte sur ce que vous devriez faire si certaines situations se présentent, et le boulot revient aux joueurs de réaliser les connexions avec les situations correspondantes. Pour des joueurs novices, cela représente une énorme difficulté. Chaque règle impliquant une décision devrait être illustrée avec des exemples du scénario présenté et les règles devraient être abordées à partir des scènes du scénario ou elles doivent être mises en œuvre.

  • Nous ne nous adressons qu'à 1% du public

Il existe une règle générale pour toute activité participative: la règle du 90-9-1. 90% des gens vont juste venir pour jouer et "consommer" le contenu proposé, 9% vont faire une certaine contribution, mais seulement 1% vont vraiment s'engager de manière créative. La plupart des jeux de rôle sont toujours conçus comme des kits pour élaborer sa propre partie (scénario, personnages, etc…). C’est génial pour le 1% de gens qui veulent créer leurs propres scénarios, et même bien pour les autres 99%, une fois qu’ils sont déjà familiers avec les jeux de rôles. Mais lorsqu'il s’agit de s’adresser à des non-joueurs complets, des livres conçus pour 1% des joueurs ne seront pas adaptés.

L'idée finale de Jessica Hammer pour vendre Dread à des non-initiés serait de proposer un contenu différent selon qu'on s'adresse aux 90, 9 ou 1%, avec notamment un kit vendu moins cher permettant de jouer à un seul scénario incluant tous les éléments nécessaires, avec une présentation des seules règles au moment ou elles sont utiles au cours du scénario, puis une sorte de souscription pour recevoir d'autres scénarios et enfin le livre complet pour ceux qui veulent pouvoir tout faire tout seul.

Pour conclure: de quels jeux jugez-vous que la 4ème de couverture est réussie, à tel point que vous avez acheté ce jeu immédiatement ? Au contraire quels jeux ont les 4ème de couverture les plus repoussantes ou les moins informatives ? Avez-vous quelques astuces pour vendre vos ouvrages ? Un point qui n'a pas été abordé dans ce billet, c'est la visibilité sur le net pour favoriser la vente de vos ouvrages, avez-vous des recommandations à ce sujet ? Des idées pour élargir le public du jeu de rôle et attirez de nouvelles recrues ?

lundi 10 février 2014

Du design d'un jeu de rôle à son écriture

Avant-propos: l'on pourrait penser que lorsque l'on a terminé de concevoir les règles d'un jeu de rôle, le plus difficile est fait...que nenni ! Reste maintenant à les écrire et de telle manière qu'une personne désirant jouer à votre jeu, mais n'ayant jamais participé à une des parties menées par vos soins, et même mieux, n'ayant jamais fait de jeu de rôle, puisse en lisant ces règles, les comprendre et les appliquer de telle sorte que l'expérience de jeu procurée soit la plus proche possible de celle voulue et recherchée par l'auteur, et de celle qu'il obtenait en définitive en faisant jouer lui même.





En théorie


Si la conception d'un jeu de rôle c'est la création de règles permettant de reproduire une certaine expérience de jeu, l'écriture c'est comment nous communiquons non-verbalement à d'autres personnes les procédures et techniques nécessaires pour la reproduction de cette expérience. Il faut bien reconnaître que le fait de créer les règles d'un jeu de rôle et celui de les écrire nécessitent des compétences bien différentes.

La conception d'un jeu de rôle requiert:

  • l'élaboration de mécaniques qui assurent un certain rythme,
  • la création d'une monnaie d'échange et d'une économie fonctionnelle du jeu,
  • l'observation des réactions des joueurs,
  • l'adaptation du langage en jeu,
  • la création d'options variées avec des choix attirants,
  • la réalisation de choix non optimaux, de points de tension et d'autres éléments qui amènent l'engagement des joueurs,
  • la compilation de bonnes pratiques et conseils accumulés suite au retour d'expérience en jeu ou par des discussions sur le jeu,
  • etc.

L'écriture d'un jeu de rôle requiert:
  • l'explication claire des règles, options, conseils, meilleures pratiques, etc.,
  • l'organisation de vos pensées d'une manière adéquate pour que le lecteur les comprenne sans ambiguïtés,
  • l'utilisation d'un langage inspirant pour amener le lecteur à souhaiter vivre l'expérience vantée par ce jeu,
  • la transmission au lecteur d'un sentiment de confiance que les règles décrites servent bien le but recherché,
  • etc.

Il n'est pas étonnant de constater que le langage est une part importante du design, des mécaniques et de l'efficacité de transmission des règles par l'écriture.

En pratique


Tonton Ron Edwards a une technique intéressante pour transcrire par écrit les règles d'un jeu. Il s'agit de porter une stricte attention à :

  • ce qui est dit aux joueurs lorsqu'on introduit son jeu,
  • ce qui est dit lorsque l'on se prépare à jouer,
  • ce qui est dit lorsque l'on joue,
  • ce que tous les joueurs (MJ y compris) font effectivement en cours de jeu.

Ensuite, la transcription de ces différents aspects constitue les règles du jeu, et n'importe quoi d'autre devient une sous-routine pour celles-ci. L'utilisation d'un enregistrement d'une partie peut aider à identifier, lors d'une réécoute de la session, ce qui est réellement effectué durant chaque scène de jeu. L'itération de ce processus permet également généralement de combler certaines lacunes non identifiées initialement. Enfin, bien sûr, l'étape ultime, une fois que vous pensez avoir réussi à coucher sur le papier tout ce qui est indispensable pour faire jouer votre jeu, c'est d'en confier une copie à un ami et de voir s'il parvient, en ne lisant que votre document, à obtenir en jeu ce que vous avez souhaité transmettre comme expérience de jeu.



Pour avoir un autre exemple très intéressant, je vous conseille d'aller lire la présentation faite par Shlopoto de la manière dont il a rédigé Pirates!Une méthode pour rédiger un jdr.

Pour conclure: vous êtes vous déjà frotté(e)s à ce périlleux et délicat exercice de l'écriture d'un jeu de rôle ? Quels écueils et difficultés avez-vous rencontrés ? Comment vous-en êtes vous sorti(e)s ? Avez-vous des conseils et astuces à partager ? Avez-vous un exemple de jeu de rôle très didactique qui pour vous fait référence en termes de pédagogie et de transmission de ces règles ?