dimanche 8 février 2015

Principes de la philosophie stoïcienne - Mise en place d'une routine

Avant-propos : puisque philosopher c'est "penser sa vie et vivre sa pensée", cet article va vous présenter comment essayer de mettre en pratique, au quotidien, les principes de la philosophie stoïcienne. Pour définir les exercices spirituels présentés dans le présent article, je me suis appuyé sur le programme prévu pour la semaine stoïcienne 2014 trouvé sur le site Stoicism Today, ainsi que sur le contenu du livre d'Elen Buzaré "Stoic Spiritual Exercices". La routine décrite ci-dessous évoluera très certainement avec le temps et mon propre retour d'expérience dans sa mise en application. J'ajouterai également, je pense, des outils ou des aides que je vais développer pour rendre plus facile l'application de cette routine. Cet article n'abordera pas les exercices d'attention à soi, proches des techniques de méditation employées dans le Bouddhisme, et sur lesquelles je n'ai pas d'expérience pratique pour le moment.

Routine stoïcienne



Méditation du matin


"Avec de pareilles pensées toujours à ta disposition, en les triturant en toi-même, en faisant d'elles tes pensées usuelles, tu n'auras besoin de personne pour t'encourager et te donner des forces."
Épictète, Entretiens III, 24, 115

Les pensées mentionnées par Épictète appartiennent à un des trois domaines de la philosophie stoïcienne :
  1. Physique : concerne les désirs et les aversions, vise la suppression des passions.
  2. Ethique : concerne les propensions et les révulsions à agir, tient à la question du devoir.
  3. Logique : concerne la prévention dans la précipitation du jugement, marque la discipline de l'assentiment.
Lors de la méditation du matin il s'agira de choisir un des exercices d'un des trois domaines ci-dessus, répéter à soi une des citations sélectionnées (ou la formule générale proposée), et d'imaginer comment la mettre en pratique durant le reste de la journée.

Il faut pratiquer cette méditation pendant 5-10 minutes en choisissant des événements clés ou des challenges spécifiques qui pourraient apparaître dans la journée. Il s'agit alors d'imaginer que certains de vos plans ne se dérouleront pas comme prévus ou que vous aurez affaire à des personnes difficiles.

Vous trouverez ci-après les différents exercices des trois domaines.

La Physique en pratique - La discipline des désirs (et aversions)


A celui qui veut pratiquer l'ascèse des désirs (et des aversions), Épictète conseille de supporter les injures, d'user du vin avec modération, de s'abstenir d'un gâteau ou d'une jolie fille, et de ne pas craindre la pauvreté, la maladie ou la mort, de ne pas rechercher les magistratures, les honneurs ou les richesses.

Épictète conseille à l'apprenti-philosophe de supprimer totalement le désir pour le moment, au risque que ce dernier se retrouve dans l'infortune en désirant quelqu'une des choses qui ne dépendent pas de lui. Selon Épictète il ne faut pas prétendre à atteindre immédiatement et sans préparation ascétique les états supérieurs de perfection. Il faut d'abord commencer par l'aversion contre les comportements irrationnels, il faut d'abord reconnaître ses erreurs et ses défauts, déraciner ses passions. Désirer une perfection inaccessible plongerait l'apprenti-philosophe dans la tristesse et le découragement.

La liste des exercices d'application du discours intérieur sur les désirs (et aversions) est donnée ci-dessous. 

Prévision des maux

Cet exercice consiste à se préparer à endurer des événements déplaisants ou douloureux. Il n'y a pas de crainte à s'imaginer des événements qui pour d'autres seraient considérés comme mauvais, puisque d'une part des maux futurs ne sont pas des maux car ils ne sont pas encore présents et d'autre part que des événements comme la maladie, la pauvreté ou la mort ne sont pas des maux car ce ne sont pas des événements qui dépendent de nous.

"Ne te trouble pas toi-même en te représentant à l'avance la totalité de ta vie. Ne cherche pas à additionner mentalement, dans leur intensité et leur nombre, toutes les difficultés pénibles qui pourraient vraisemblablement survenir. Mais à l'occasion de chacune, lorsqu'elle se présente, interroge-toi toi-même : "Qu'y a-t-il dans cette affaire d'insupportable et d'intolérable ?" Car tu rougiras de toi-même si tu réponds oui à cette question. En outre, rappelle-toi que ce ne sont ni le passé ni le futur qui pèsent sur toi, mais toujours le présent. Mais celui-ci te paraîtra plus petit, si tu le circonscris en le définissant et l'isolant, et si tu fais honte à ta faculté de réflexion si elle n'est pas capable d'affronter cette petite chose isolée."
Marc Aurèle, Pensées, VIII, 36

"Il y a des maux qui atteignent le sage, sans l'abattre d'ailleurs, comme la douleur physique, l'infirmité, la perte des amis, des enfants, les revers d'une patrie dévorée par la guerre: à ces choses, j'avoue qu'il est sensible, car nous ne lui imposons pas la dureté du roc ou du fer. Il n'y a pas de vertu à supporter ce qu'on ne sent pas."
Sénèque, De la constance du sage, X, 4

"Il faut retrancher ces deux choses: la crainte de l'avenir, le souvenir des maux anciens. ceux-ci ne me concernent plus et l'avenir ne me concerne pas encore."
Sénèque, Lettre à Lucilius, 78, §14

"Dès l'aurore se dire à l'avance: je vais rencontrer un indiscret, un ingrat, un insolent, un fourbe, un envieux, un égoïste. Tout cela leur vient de l'ignorance où ils sont de la distinction entre les biens et les maux."
Marc Aurèle, Pensées, II, 1

Ces deux dernières citations peuvent être considérées comme des formules simples à retenir dans le cadre de cet exercice. 

Définition physique

Cet exercice vise à définir en des termes précis ce à quoi nous sommes attachés. Cette définition va nous aider à distinguer les jugements affectifs et subjectifs que nous portons sur la représentation objective que nous devrions avoir. Cet exercice qui est commun avec le domaine de la Logique vise ici à réduire nos envies de possessions et d'accession à certains statuts sociaux élevés.

"Aux préceptes que j'ai dits, ajoutes-en encore un :  toujours définir ou décrire l'objet de ta représentation, de façon à voir distinctement ce qu'il est essentiellement, à nu et pris en entier, à le désigner en soi-même par le mot propre, ainsi que tous les éléments dont il est composé et en lesquels il se résout."
Marc Aurèle, Pensées, III, 11

"Pour chaque chose qui t'attire ou qui t'est utile ou que tu aimes, souviens-toi d'ajouter pour toi-même ce qu'elle est, en commençant par les choses les plus humbles. Si tu aimes une marmite, dis-toi : "J'aime une marmite." Car, si elle se casse, tu n'en seras pas troublé. Si tu embrasses ton enfant ou ta femme, dis-toi : "J'embrasse un homme." S'il meut, tu ne seras pas troublé."
Épictète, Manuel, 3

"Comme il est important de se représenter, à propos des mets recherchés et d'autres nourritures de ce genre : "Ceci est du cadavre de poisson, ceci est du cadavre de d'oiseau ou de porc", et aussi : "Ce Falerne, c'est du jus de raisin", "Cette pourpre, c'est du poil de brebis mouillé du sang d'un coquillage". Et, à propos de l'union des sexes : "C'est un frottement de ventre avec éjaculation, dans un spasme, d'un liquide gluant." Comme sont importantes ces représentations qui atteignent les choses elles-mêmes et les traversent de part en part en sorte que l'on voit ce qu'elles sont en réalité."
Marc Aurèle, Pensées, VI, 13

On pourra retenir pour cet exercice la formule simple suivante : "Tu n'es qu'une pure représentation et tu n'es en aucune manière ce que tu représentes."

Restitution

Cet exercice vise à faire prendre conscience que tout ce qui est en notre possession peut nous être repris à n'importe quel moment. Il s'agit donc de considérer chaque chose comme un prêt et non comme une possession.

"Ne dis jamais à propos d'une chose : "Je l'ai perdue", mais "Je l'ai rendue". Ton enfant est mort ? Il a été rendu. Ta femme est morte ? Elle a été rendue. Ton champ t'a été pris ? Cela aussi a été rendu. "Mais celui qui me l'a pris est un scélérat." Et que t'importe par qui celui qui te l'a donné te l'a redemandé ? Aussi longtemps qu'ils te sont donnés, prends soin de ces biens comme s'ils appartenaient à autrui, ainsi que font les voyageurs dans une hôtellerie."
Épictète, Manuel , 11

"Purifie tes jugements, pour que rien de ce qui n'est pas "tien" ne s'attache à toi, ne te devienne connaturel, en sorte que tu n'en éprouves de la souffrance si on te l'arrache."
Épictète, Entretiens, IV, 1, 112

On pourra retenir pour cet exercice la formule simple suivante : "Ne dis jamais à propos d'une chose : "je l'ai perdue", mais "je l'ai rendue"."

Impermanence

Cet exercice vise à nous faire prendre conscience de notre place dans un univers en constante évolution et d'apprécier le lien qui réunit tous les êtres vivants.

"Acquiers une méthode pour observer comment les choses se changent l'une en l'autre ; fais-y continuellement attention, et exerce-toi de ce côté ; car rien n'est plus capable de produire les grandes pensées."
Marc Aurèle, Pensées, X, 11

"Fixe ton attention sur chacun de ces objets ;  vois-le déjà se dissoudre, se modifier, se gâter en quelque sorte ou se dissiper, ou mourir selon le mode qui lui est naturel."
Marc Aurèle, Pensées, X, 18

Cette dernière citation peut être considérée comme une formule simple à retenir dans le cadre de cet exercice.

Distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous

Cet exercice vise à nous aider à ne pas être accablé par la première impression que nous percevons quand un événement "malheureux" nous arrive. Il vise à faire la distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous. 

"Parmi les choses qui existent, les unes dépendent de nous, les autres ne dépendent pas de nous.
Dépendent de nous : jugement de valeur, impulsion à l'action, désir, aversion, en un mot tout ce qui est notre affaire à nous. Ne dépendent pas de nous, le corps, nos possessions, les opinions que les autres ont de nous, les magistratures, en un mot, tout ce qui n'est pas notre affaire à nous."
Épictète, Manuel, 1, 1

 "Ne demande pas que ce qui arrive arrive comme tu désires ; mais désire que les choses arrivent comme elles arrivent, et tu seras heureux."
Épictète, Manuel, 8
On pourra retenir pour cet exercice cette dernière citation et la formule simple suivante : "Il faut distinguer entre ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous."

Extension de soi au monde

Cet exercice vise à se projeter au niveau du monde et à harmoniser sa raison avec celle de la nature. Il est aussi l'occasion de se rappeler combien brève est la vie qui nous est accordée par rapport à la longue histoire du cosmos, et combien en conséquence est importante notre pratique quotidienne de la philosophie.

"Examiner le cours des astres dont la course est commune ; penser continuellement aux transformations des éléments les uns dans les autres. De telles images purifient ce qu'il y a de sordide dans la vie d'ici-bas."
Marc Aurèle, Pensées, VII, 47

"Songer constamment à l'ensemble de la durée, à l'ensemble de l'être : toute chose, relativement à l'être, est un grain de figue, et relativement au temps, un tour de tige."
Marc Aurèle, Pensées, X, 17

Cette dernière citation peut être considérée comme une formule simple à retenir dans le cadre de cet exercice.

Regard d'en haut

Cet exercice vise à prendre conscience de la petitesse des considérations humaines par rapport à l'univers, à changer notre jugement sur les richesses, le pouvoir, la guerre, les territoires et toutes les préoccupations de la vie quotidienne. Cet exercice doit nous aider à contempler à quel point la plupart de nos actions sont insensées, ainsi que l'imminence de la mort et donc l'urgence à pratiquer la philosophie.

"Petite est donc l'étendue de la vie ; petit, le coin de terre où l'on vit ;  petite, la plus longue renommée dans la postérité ;  elle dépend de la succession de petits hommes qui vont mourir très vite et qui ne connaissent ni eux-mêmes ni ceux qui sont morts il y a longtemps."
Marc Aurèle, Pensées, III, 10

"Oui, quand on parle des hommes, il faut examiner aussi de haut les choses terrestres, les rassemblements, les armées, les mariages et les ruptures, les naissances et les morts, le tumulte des tribunaux, les contrées désertes, les diverses populations barbares, les fêtes, les deuils, les marchés, tout ce mélange et l'ordre qui naît des contraires."
Marc Aurèle, Pensées, VII, 48

"Bientôt tu auras tout oublié, bientôt tous t'auront oublié."
Marc Aurèle, Pensées, XII, 21

Cette dernière citation peut être considérée comme une formule simple à retenir dans le cadre de cet exercice.

L'Ethique en pratique - La discipline de l'impulsion à l'action


La discipline de l'impulsion à l'action engage notre sens des responsabilités. Elle adresse comment nous devons nous comporter avec les autres êtres humains, qui sont potentiellement pour nous une source de désagréments car c'est notre devoir de prendre soin d'eux même s'ils peuvent se montrer détestables à l'occasion.

La discipline de l'impulsion à l'action est liée à la discipline des désirs (et aversions) dans le sens que les exercices ci-dessous visent à nous aider à rester une personne non soumise aux passions pour pouvoir agir sagement et conformément à la nature.

Définir l'action projetée

Cet exercice vise à nous aider à conserver la pureté dans l'intention de nos actions, et ce quels que soient les événements qui pourraient survenir dans le cadre de leur réalisation.

"Lorsque tu es sur le point d'entreprendre une action, remets-toi dans l'esprit ce qu'est cette action.
Si tu vas te baigner, représente-toi ce qui arrive dans un établissement de bain :  les gens qui t'aspergent d'eau, qui te bousculent, t'injurient, te volent. Et ainsi tu entreprendras ton action avec plus d'assurance, si tu ajoutes pour toi-même : "Je veux me baigner et en même temps que mon choix de vie reste en conformité avec la nature." Et qu'il en soit de même pour chaque action.
Car ainsi, si survient quelque empêchement à la baignade, que te soit présent à l'esprit: "Mais je ne voulais pas seulement me baigner, mais aussi, en même temps, faire en sorte que mon choix de vie demeure en conformité avec la nature ; or, je ne le garderai pas dans cet état, si je me mets en colère à cause des événements."
Épictète, Manuel, 4

"Le tireur doit tout faire pour atteindre le but, et pourtant c'est cet acte de tout faire pour atteindre le but, pour réaliser son dessein, c'est cet acte qui est, si je puis dire, la fin que recherche le tireur, et qui correspond à ce que nous appelons, quand il s'agit de la vie, le souverain bien : tandis que frapper le but n'est qu'une chose que l'on peut souhaiter, mais ce n'est pas une chose méritant à être recherchée pour elle-même."
Cicéron, Des termes extrêmes des biens et des maux, Livre III, 6, 22

"Montrez-moi un homme qui se soucie de savoir de quelle manière il agit, qui se préoccupe, non du résultat à obtenir, mais de son acte même...qui, en délibérant, s'inquiète de la délibération elle-même et non d'obtenir ce qui en fait le sujet."
Épictète, Entretiens, II, 16, 15

On pourra retenir pour cet exercice la formule simple suivante : "Fais ce que tu dois, advienne que pourra."

Agir avec une clause de réserve

Cet exercice, consistant à ajouter une réserve quant à la possible survenance d'obstacles pouvant gêner la réalisation d'un action entreprise, vise à aider le stoïcien à conserver une sérénité en toutes circonstances et à rester fidèle à son choix de vie.

"Le sage ne change pas sa décision si la situation reste intégralement ce qu'elle était lorsqu'il la prise... Mais, par ailleurs, il entreprend tout avec une clause de réserve...dans ses desseins très arrêtés, il fait la part des événements incertains."
Sénèque, Des bienfaits, IV, 34, 4-5

"Toutes choses lui adviennent, non selon ses désirs, mais selon ses prévisions. Et ce qu'il prévoit avant tout, c'est que des obstacles pourront toujours s'opposer à ces projets. Or il est nécessaire que la peine causée par un désir qui n'est pas satisfait soit plus légère à celui qui ne s'était pas promis d'avance le succès."
Sénèque, De la tranquillité de l'âme, XIII, 3

"Ils ne fléchissent pas sous les coups du sort, parce qu'ils en ont calculé à l'avance les attaques, car, parmi les choses qui arrivent sans qu'on le veuille, même les plus pénibles sont allégées par la prévision, quand la pensée ne rencontre plus rien d'inattendu dans les événements, mais émousse la perception, comme s'il s'agissait de choses anciennes et usées."
Philon d'Alexandrie, Des lois spéciales, II, §46

"Tout lui réussit et rien n'arrive contre son attente, car il prévoit que quelque chose peut intervenir qui empêche ce qu'il a projeté de se réaliser."
Sénèque, Des bienfaits, IV, 34, 4

Cette dernière citation peut être considérée comme une formule simple à retenir dans le cadre de cet exercice.

Agir pour le bien de la communauté

La discipline de l'impulsion à l'action consiste essentiellement à agir pour le bien de la communauté. Cet exercice spirituel d'application du discours intérieur sur l'impulsion à l'action est donc crucial.

"Quand tu as fait du bien et qu'ainsi, d'un autre point de vue, cela t'a fait du bien, vas-tu encore chercher, comme les insensés, en plus de ces deux choses, une troisième: celle d'être considéré comme un bienfaiteur ou d'être payé de retour ?"
Marc Aurèle, Pensées, VII, 73-74

"Et ainsi, il cessera d'abord de s'injurier lui-même, d'être en conflit avec lui-même, de se repentir, de se tourmenter ; quant aux autres, il sera un ami pour tous ceux qui lui ressemblent ; mais il supportera celui qui ne lui ressemble pas ; il sera doux et patient envers lui ; il lui pardonnera parce que c'est un ignorant qui se trompe sur les questions les plus graves ; il ne sera dur avec personne ; car il connaît très exactement le mot de Platon : "C'est toujours malgré elle qu'une âme est privée de la vérité.""
Épictète, Entretiens, II, 22, 36 

"Ce n'est pas la colère qui est virile, mais c'est la douceur et la délicatesse. Car c'est parce qu'elles sont plus humaines, qu'elles sont plus viriles: elles possèdent plus de force, plus de nerf, plus de virilité, et c'est ce qui manque à celui qui se met en colère et qui s'irrite."
Marc Aurèle, Pensées, XI, 18

"Les choses auxquelles tu es lié par le Destin, harmonise-toi avec elles. Les hommes auxquels tu es lié par le Destin, aime-les, mais vraiment."
Marc Aurèle, Pensées, VI, 39

"Les hommes ont été faits les uns pour les autres: instruits les ou supporte les."
Marc Aurèle, Pensées, VIII, 59

On pourra retenir pour cet exercice cette dernière citation ainsi que la formule simple suivante : "La vertu est à elle-même sa propre récompense."

Agir selon les valeurs

Cet exercice vise à reconnaître la valeur exacte d'une chose, et ainsi de réguler l'impulsion à l'action et distribuer l'intensité de nos actions proportionnellement à cette valeur. Les stoïciens distinguaient les choses selon trois niveau de valeur:

  1. choses qui sont parties intégrantes de la vie en accord avec la nature, c'est-à-dire de la vertu, exemple : exercices d'examen de conscience ou d'attention à soi, qui contribuent à la pratique de la vie morale. Ces choses ont une valeur absolue.
  2. choses pouvant aider d'une manière secondaire à la pratique de la vertu. Choses en soi ni bonnes, ni mauvaises, indifférentes par rapport au bien moral, mais dont la possession ou l'exercice permet de mieux pratiquer la vie vertueuse, exemple : la santé qui rend possible l'accomplissement des devoirs, la richesse si elle permet de secourir son prochain. Ces choses n'ont pas une valeur absolue, mais hiérarchisées selon leur rapport plus ou moins étroit avec le bien moral.
  3. choses qui, dans certaines circonstances, pourraient être utiles à la vertu, des choses qui, en soi, n'ont aucune valeur, mais que l'on peut échanger en quelque sorte pour un bien.
"Efface tes imaginations en te disant sans cesse : actuellement il dépend de moi qu'il n'y ait dans cette âme ni vice ni désir ni en général aucun trouble, mais que je voie les choses telles qu'elles sont en usant d'elles suivant leur valeur. Songe bien à ce pouvoir qui est dans ta nature."
Marc Aurèle, Pensées, VIII, 29

"Fixe-toi désormais un certain style et modèle de vie auquel tu te tiendras, que tu sois seul avec toi-même ou que tu rencontres des hommes."
Épictète, Manuel, 33, 1

On pourra retenir pour cet exercice cette dernière citation ainsi que la formule simple suivante : "Je dois voir les choses telles qu'elles sont en usant d'elles suivant leur valeur."

La Logique en pratique - La discipline du jugement


La discipline du jugement vise à utiliser correctement les représentations qui se présentent à nous.

Suspension du jugement et assentiment du jugement sur les représentations

Cet exercice vise à remettre en cause la première impression que nous pouvons ressentir suite à un événement, à ne pas donner trop vite son assentiment sans tout d'abord questionner cette impression et la juger à l'aune de ce qui dépend de nous ou de ce qui ne dépend pas de nous. 

"La maladie est une gêne pour le corps, mais pas pour le choix de vie, à moins que le choix de vie ne le veuille lui-même. La claudication est une gêne pour la jambe, mais pas pour le choix de vie.

Ajoute cette idée à l'occasion de chacun des accidents qui surviennent :  tu découvriras qu'il est une gêne pour une autre chose, mais pas pour toi."
Épictète, Manuel, 9

"Commence donc par les petites choses. Un peu d'huile s'écoule, un peu de vin est volé. Ajoute pour toi-même : "C'est à ce prix que l'on vend l'impassibilité, à ce prix que l'on vend la paix. On n'a rien gratis." Quand tu appelles ton esclave, pense qu'il peut ne pas entendre, ou, s'il a entendu, ne rien faire de ce que tu veux. Mais il n'est pas dans une situation si favorable, que la paix de ton âme dépende de lui."
Épictète, Manuel, 12, 2

"Comme nous nous exerçons sur les questions des sophistes, il faut aussi chaque jour nous exercer sur les représentations ; car, elles aussi, elles nous proposent des questions. Le fils d'un tel est mort. Réponds : "Ne dépend pas de la volonté, n'est pas un mal". Le père d'un tel l'a exclu de l'héritage ;  que t'en semble ? "Ne dépend pas de la volonté, n'est pas un mal." César l'a condamné. "Ne dépend pas de la volonté, n'est pas un mal". Il en a eu du chagrin : "Dépend de la volonté, c'est un mal". Il l'a supporté généreusement : "Dépend de la volonté, c'est un bien". Habitués à cette pratique, nous ferons des progrès ; car jamais nous ne donnerons notre assentiment à rien dont nous n'ayons une représentation compréhensive."
Épictète, Entretiens, III, 8, 1-4

"Mais, d'abord, ne te laisse pas prendre par sa vivacité ; dis : "Attends un peu, image ; laisse-moi voir qui tu es, ce dont tu es l'image ; laisse-moi t'éprouver"."
Épictète, Entretiens, II, 24

"Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu'ils portent sur les choses.
Par exemple la mort n'a rien de redoutable mais c'est à cause du jugement que nous portons sur la mort, à savoir qu'elle est redoutable, c'est cela qui est redoutable dans la mort."
Épictète, Manuel, 5

"Voici comment les passions naissent, se développent, deviennent excessives. Il y a d'abord un premier mouvement involontaire, une sorte de préparation et de menace de passion. Il y en a un deuxième accompagné d'un désir qu'on peut encore dompter. Le premier choc sur l'âme, nous ne pouvons l'éviter avec l'aide de la raison, pas plus que certains mouvements réflexes qui arrivent au corps, comme le bâillement...La raison ne peut les vaincre, l'habitude peut-être et une attention continuelle les atténuent. Le deuxième mouvement, qui naît d'un jugement, peut être supprimé par un jugement."
Sénèque, De la constance du sage, X, 4

On pourra retenir pour cet exercice la formule simple suivante : "Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu'ils portent sur les choses."



Méditation du soir


"Ne laisse pas tomber le sommeil sur tes yeux fatigués avant d'avoir pensé à tous les actes de ta journée. Qu'ai je omis ? Qu'ai je fait ? Que fallait-il faire que je n'ai pas fait ? Commence par là et continue. Puis, si tu as mal fait, blâme toi, si tu as bien fait, sois content."
Épictète, Entretiens, X, 2

La méditation du soir vise à utiliser une forme d'auto-analyse philosophique et contemplative.

Avant de dormir, prenez 5-10 minutes pour repasser les événements du jour en esprit. Vous pouvez trouver utile d'écrire des notes de vos réflexions et de l'auto-analyse dans un journal documentant votre parcours d'apprentissage des pratiques stoïciennes au quotidien. Essayez de vous rappeler l'ordre dans lequel vous avez rencontré différentes personnes durant la journée, les tâches que vous avez entreprises, ce que vous avez dit et fait. Pour chaque situation, posez vous ces questions :

  • Qu'avez vous mal fait ? Vous-êtes-vous laissé dominer par des peurs ou des désirs excessifs ou irrationnels ? Avez-vous mal agi ou vous êtes vous laissez aller à des pensées irrationnelles ?
  • Qu'avez vous bien fait ? Avez-vous fait des progrès en renforçant votre prise sur les vertus ?
  • Qu'avez vous oublié ? Avez-vous raté l'occasion d'exercer des vertus ou votre force de caractère ?
  • Considérez comment ce qui a été mal fait ou négligé pourrait être fait différemment dans le futur. Faites ceci en critiquant vos actions spécifiques plutôt que vous même en personne.
  • Félicitez-vous pour ce que vous avez bien fait.
En faisant cela vous adoptez le rôle d'un ami et d'un conseiller avisé envers vous, plutôt qu'un critique dur et punitif.

Nous pouvons assumer qu'un stoïcien dont l'auto-analyse et la revue du jour précédent l'ont conduit à conclure qu'il a fait des erreurs de jugement, qu'il a mal agi ou failli à suivre ses principes, va rechercher à apprendre de cela et agir différemment le jour suivant. En se réveillant le jour suivant, vous trouverez probablement naturel de baser votre méditation matinale, en partie, sur vos réflexions de la veille au soir. Ces méditations peuvent se combiner pour former un cercle vertueux d'apprentissage.

Vous devez être prudents afin d'éviter de transformer vos réflexions en ruminations morbides. Gardez à l'esprit que le passé est en dehors de votre contrôle, adoptez une attitude d'acceptation provisoire de vos échecs en vous pardonnant et en promettant de vous conduire différemment dans le futur.


Pour conclure : malgré cet article conséquent, il y aurait encore beaucoup à dire et à développer. Je n'ai pas mentionné l'autre aspect de ces exercices de mémorisation, qui par le biais d'une méditation par l'écriture, vise à réécrire de manière personnelle chaque formule à partir de l'idée au cœur de chaque principe. Car comme le disait Épictète : "Que ces paroles te soient présentes à l'esprit nuit et jour ; il faut les écrire, les lire, converser à leur sujet, soit en toi-même, soi en t'adressant à un autre: As-tu une aide pour moi dans cette circonstance ?" (Entretiens III, 24, 103).
Désolé pour mes lecteurs rôlistes, mais à l'heure actuelle ces préoccupations philosophiques sont prioritaires pour moi, en effet comme disait Épicure à Ménécée : "Quand on est jeune il ne faut pas remettre à philosopher, et quand on est vieux il ne faut pas se lasser de philosopher. Car jamais il n’est trop tôt ou trop tard pour travailler à la santé de l’âme. Or celui qui dit que l’heure de philosopher n’est pas encore arrivée ou est passée pour lui, ressemble à un homme qui dirait que l’heure d’être heureux n’est pas encore venue pour lui ou qu’elle n’est plus. Le jeune homme et le vieillard doivent donc philosopher l’un et l’autre, celui-ci pour rajeunir au contact du bien, en se remémorant les jours agréables du passé ; celui-là afin d’être, quoique jeune, tranquille comme un ancien en face de l’avenir. Par conséquent il faut méditer sur les causes qui peuvent produire le bonheur puisque, lorsqu’il est à nous, nous avons tout, et que, quand il nous manque, nous faisons tout pour l’avoir. Attache-toi donc aux enseignements que je n’ai cessé de te donner et que je vais te répéter ; mets-les en pratique et médite-les, convaincu que ce sont là les principes nécessaires pour bien vivre."